« Ni la Constitution, ni la morale ne peuvent légitimer la forfaiture d’une 3e candidature » (Alassane Kitane)
De ce que les poètes sont doux comme la paix, mais trop rêveurs comme les philosophes !
Non, monsieur le poète, solliciter le Conseil constitutionnel pour savoir si Macky Sall a droit à un troisième mandant, c’est déjà prouver que Macky s’est bien moqué de nous en 2016. Faire une réforme constitutionnelle censée être « consolidante » et en arriver à cet imbroglio sciemment entretenu, c’est déjà un manque de sérieux notoire.
Ni la Constitution, du moins dans son esprit, ni la morale ne peuvent légitimer la forfaiture d’une 3e candidature de Macky ! La morale ne peut pas être exclue de la politique, car la notion de légitimité en perdrait sa signification et sa portée politique. Tous ceux qui opposent morale et politique savent pertinemment que la politique n’est que la continuation de la morale par d’autres moyens.
La dichotomie faite entre morale et politique est certes pertinente pour des raisons théoriques évidentes, mais c’est davantage méthodologique qu’essentialiste. Celui qui se moque de la morale ne peut se prévaloir d’aucune légitimité, sinon la force et le mensonge. Or ces instruments politiques n’ont de sens que s’ils sont au service de la morale : ils n’ont aucune valeur en eux-mêmes.
Si la force et le mensonge donnent le pouvoir, aucun pouvoir ne pourra être stable, aucun pouvoir ne pourra empêcher l’usage de la force et de la violence : force et mensonge deviennent immédiatement synonymes de pouvoir politique.
Celui qui dit que la force et la ruse sont des instruments politiques par excellence est semblable à celui qui dit que la correction ou les réprimandes faites aux enfants sont des fins en elles-mêmes.
La ruse et la force sont en soi dépourvues de moralité, elles ne peuvent être légitimes que si elles sont considérées comme des appoints aux injonctions morales souvent négligées par les hommes à causes du caprice et du vice. Quand Hegel dit que l’Etats est l’Idée morale en acte, il n’oppose nullement Etat et morale : il fait de l’Etat la morale elle-même, mais cette fois-ci incarnée dans des institutions et disposant d’une puissance coercitive externe.
Jugement moral, procès moral contre procès juridique ; exigence morale contre nécessité politique : tout ceci n’est que pur sophisme pour occulter son absolue culpabilité. Il n’y a pas pour les hommes deux ordres de culpabilité : mentir n’est pas bon ; ce n’est pas seulement la morale qui nous le dit, mais aussi le code de la famille, le code de la route, la loi d’orientation du système éducatif, la législation fiscale, le code des douanes, l’essence de tout contrat entre civil ; bref tout le corpus du droit positif ! La loi positive célèbre et honore la morale.
Qu’on ne vienne donc pas ici nous théoriser l’idée d’une nécessité politique. Imaginons des opérateurs économiques qui mentiraient sur leurs déclarations d’impôt, des inspecteurs du Trésor et des impôts et domaines qui feraient autant, des policiers qui tricheraient sur les amendes des contraventions, des enseignants qui leurreraient leurs élèves sur le programme, etc. : aucune société, aucun Etat ne pourrait être viables dans une telle atmosphère.
Macky Sall ne peut pas se permettre un tel parjure, ce serait la fin de l’Etat de droit, car ce concept n’est rien d’autre que la formulation du contrat social qui est avant tout un contrat de confiance. Sans la confiance, c’est toute l’essence du contrat social qui nous maintient dans le corps social qui est dissous.
Notre démocratie doit grandir : il n’y a pas à demander l’avis du Conseil constitutionnel, parce que nous avons bataillé pour avoir cet acquis ; et il n’y aucune raison que Macky Sall tente d’y revenir. Notre Constitution de 2001 avait réglé le problème et nous ne pouvons pas nous payer le luxe de revenir 22 ans en arrière, c’est une aberration.
Alassane Kitane*