« Etude du contentieux sur la radiation de Monsieur Ousmane Sonko » (Par Boubacar Mohamed SY)
Le sieur Ousmane Sonko a été jugé par contumace, suite à son refus de comparaître devant la justice, face à une dame qui portait des accusations graves contre lui. Stratégiquement, ce n’était la bonne option. Un procès notamment pénal se gagne devant les cours et tribunaux. Cela dit, analysons les deux décisions de justice.
Celle de Ziguinchor un peu plus et celle de la cour Suprême un peu moins puisque la décision de la cour suprême, dans son entièreté, n’est pas encore disponible. Pour rappel, parce qu’important et justifiant la thèse sur l’erreur de non comparution devant la chambre criminelle, la radiation du sieur Ousmane Sonko des listes électorales est prise et justifiée par le jugement par contumace. C’est factuel.
Analyse de la décision de Ziguinchor.
A la lecture de la décision de justice prononcée par le juge de Ziguinchor, il ressort ceci. La décision du jugement de Ousmane Sonko dans l’affaire Sweet Beauté n’a pas respecté les dispositions de l’article 311 du Code de procédure pénale.
D’ailleurs, l’argumentaire suivant est revenu : « En l’absence de ces formalités, aucune déchéance ne peut frapper le requérant ; (le juge rappelle ici l’article 312 du code de procédure pénale conséquence du défaut de publicité prévue à l’article 311). Qu’ainsi la mesure de radiation du nom de Ousmane Sonko des listes électorales est irrégulière ;
Que la demande du requérant est juste et fondée ; qu’il échet d’y faire droit en annulant la mesure de radiation de son nom des listes électorales ». Or, il ressort des informations disponibles çà et là que la décision avait été affichée. D’abord, elle a été affichée au Tribunal de Dakar. Ensuite, elle a été publiée dans le journal Sud Quotidien des samedi et Dimanche 9 juillet 2023 aux pages 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 11. Enfin, des photos avaient circulé faisant état de l’affichage de la décision devant le domicile du contumax.
Par suite, la décision de Ziguinchor évoquait l’absence de preuve du respect de cette procédure de publicité prévue à l’article 311 du code de Procédure Pénale. L’article 311 du code de procédure pénale dispose : « L’extrait de la décision de condamnation est, dans le plus bref délai à la diligence du Ministère public, inséré dans l’un des journaux de la République. Il est affiché en outre à la porte du dernier domicile du condamné, à la porte de la mairie de sa commune ou à la porte des bureaux de son arrondissement ou de l’arrondissement où le crime a été commis et au tableau d’affichage du Tribunal de grande instance. Pareil extrait est adressé au représentant du service des domaines du domicile du contumax ».
Conséquence : il suffisait juste à l’Etat de prouver que la procédure de publicité prévue à l’article précité a été respectée.
Analyse.
La décision de Ziguinchor fait ressortir une violation de l’article 311 du code de Procédure Pénale. L’erreur de d’interprétation par le juge de Ziguinchor se trouve à ce niveau. Le juge pouvait, prima facié, relever de l’anéantissement de la contumace par le seul fait que le contumax a été appréhendé avant les délais de prescription.
Voir Article 307 et 316 du code de Procédure Pénale. C’était la cause la plus solide pour anéantir le jugement par contumace et par conséquent justifier l’inscription, à nouveau, du nom du sieur Sonko sur les listes électorales.
En conséquence, la décision de Ziguinchor ; contrairement à ce que les gens pensent, a plus porté préjudice au sieur Ousmane Sonko qu’autre chose.
Par ailleurs, l’avocat Juan Branco ; et pour la première fois où il a réellement parlé droit dans cette affaire, a souligné quelque chose d’important en appréciant la décision de la cour suprême.
Je le cite, Expressis Verbis :
La Cour suprême a très prévisiblement cassé la courageuse décision de Ziguinchor, renvoyant l’affaire au Tribunal de Dakar, et rompant ce faisant avec la jurisprudence applicable (Karim Wade).
Opérer un renversement jurisprudentiel sur la compétence territoriale était le seul moyen pour la Cour suprême de protéger le pouvoir sans violer explicitement le droit écrit.
Si même l’argumentaire est implacable sur le fait que la cour suprême n’a pas violé le droit, il subsiste une grotesque erreur de la part de l’avocat. (Encore une fois)
La compétence territoriale du tribunal de Ziguinchor n’est pas remise en cause. Conséquence : il est techniquement impossible de parler de revirement jurisprudentiel. Plutôt, il est évoqué un déficit de motivation de la décision. (En attendant d’avoir la décision). Ce qui est juridiquement différent.
Sur la décision sur Karim Wade :
Le tribunal d’instance hors classe de Dakar, appelé à statuer, avait dit ceci : « Attendu qu’il s’infère des textes sus visés que n’importe quel électeur inscrit qui entend user de son droit de réclamer l’inscription ou la radiation d’un électeur omis ou indûment inscrit, doit être inscrit sur la liste électorale de la commune de ce dernier, justifiant ainsi d’une attache avec cette commune en remplissant les conditions prévues par l’article L.36 du Code électoral ;
Qu’en l’espèce Monsieur Oumar SARR qui agit en qualité d’électeur inscrit pour réclamer l’inscription de Monsieur Karim Meissa WADE sur la liste de la commune de Fann Point E Amitié, étant inscrit sur la liste de la commune de DAGANA sous le N° 100221980, il ne relève pas du ressort de la juridiction de céans ;
Attendu qu’eu égard à ce qui précède, le contentieux dont nous sommes saisi excède notre compétence territoriale. « Qu’il y a lieu en conséquence, de nous déclarer incompétent ». Karim Wade s’était alors retourné au lieu où il était inscrit pour y faire régler son contentieux. La cour suprême sur l’affaire Sonko, a déclaré compétent le tribunal de Ziguinchor, lieu où il est domicilié électoralement. Ce qui épouse parfaitement la décision sur l’affaire Karim Wade.
Débat :
La décision de justice sur l’affaire Karim Wade peut elles s’appeler jurisprudence ? Oui, pour certains ! Parce que simplement c’est une décision de justice. Ce n’est exactement le cas. Pour qu’une décision de justice revêt le sceau jurisprudence, il faut qu’elle soit répétée jusqu’à ce qu’elle renferme en soi un principe juridique.
D’ailleurs, et pour culture juridique, le Code civil français prohibe dans son article 5 les arrêts de règlement. Il dispose ceci : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ».
La décision d’un juge ne peut donc résoudre à l’avenir le sort d’une question de droit et ne s’applique en principe qu’à l’affaire jugée. Toutefois, c’est une mission des juridictions suprêmes d’uniformiser la jurisprudence. Cela pour échapper à la disparité des jugements et des arrêts des juridictions inférieures dans une matière donnée.
Ainsi, une solution adoptée par la plus haute juridiction d’un pays dans une affaire ne contraint-elle pas les cours et tribunaux à statuer de la même manière sur quasiment une affaire similaire. Le cas contraire, le droit ne serait jamais évolutif.
Revenons à l’avocat Juan Branco.
S’il qualifie la décision de Ziguinchor de courageuse, il rappelle l’argument qui pouvait casser le jugement de plein droit à savoir la mise en main, par la justice, du contumax. Argument de droit qui n’a pas été utilisé par le juge de Ziguinchor. Ce qui est constitutif de l’erreur.
Pour en venir à la décision de la cour suprême, le vendredi 17 Novembre 2023. Il est important de rappeler que la cour suprême n’est pas juge des faits. Elle est juge de droit. Elle voit si le droit a été appliqué et bien appliqué.
En l’espèce, elle estime simplement que le juge de Ziguinchor n’a pas justifié sa décision sur la signification de la décision. (En attendant d’avoir l’intégralité de la décision pour l’étudier) Concernant le fait d’avoir cassé et renvoyé au tribunal d’instance de Dakar ;
Il est entendu certains juristes dire que le juge suprême pouvait renvoyer devant le tribunal de Ziguinchor, autrement composé. Cela est possible. Comme il est tout aussi possible ; et plus fréquent, de casser et de renvoyer devant une autre juridiction de même degré. En tout état cause, la loi organique sur la cour suprême le prévoit expressément. Cf. Article 53 de la loi organique sur la cour suprême. Pour rappel, la cour suprême pouvait casser, évoquer l’affaire et la vider.
Ce qui aurait comme conséquence ; comme devant la cour de la CEDEAO qui statue en premier et dernier ressort, la fin de ce contentieux. S’il est vrai que généralement le juge suprême casse la décision, évoque l’affaire et statue, il n’est aucunement illégal de casser et renvoyer même en contentieux électoral. A défaut, il faut établir la disposition spéciale prévue par le code électoral qui impose à la cour suprême de vider l’affaire.
Boubacar Mohamed SY
Juriste.
Écrivain / Essayiste.
Auteur du livre le Sénégal sous Laser Politique.
Chroniqueur juridique et politique.